« On peut au moins se mettre d’accord sur un fait. » Cette petite phrase a été prononcée par le journaliste Patrick Cohen lors d’un échange houleux avec le député Éric Ciotti. Ce dernier affirmait que les publicités du livre de Jordan Bardella avaient été « censurées » dans les gares sous la pression des « gauchistes ».
Le journaliste rappelait de son côté que, dans les gares, la règle est que « tout message publicitaire présentant un caractère politique, syndical, confessionnel (…) est prohibé ». Ce fait incontournable, Ciotti refuse de l’accepter et fait comme si, entre Patrick Cohen et lui, il n’était question que d’une divergence de point de vue.
Ce petit moment de télévision est révélateur de la stratégie utilisée partout dans le monde par cette extrême droite déterminée à prendre le pouvoir. La réalité, la vérité des faits sont ravalées au rang d’opinion. Ce qui permet de raconter son histoire quelle que soit la réalité. L’un des champions de cette stratégie est bien Donald Trump. Son récit à base de complot, de grandeur perdue, de virilisme, de nationalisme identitaire et de racisme se double d’un style ponctué d’injures, d’onomatopées et d’outrances.
Trump a imposé sa propre caricature, ce qui l’autorise à tout dire, à tout se permettre en prétendant parler au nom du « vrai » peuple américain. D’autant que les formes de la communication publique avec Internet, les réseaux sociaux et leurs algorithmes, aggravent ce brouillage des légitimités, accélèrent la circulation des rumeurs, dégradent le débat politique et intellectuel.
La philosophe espagnole Marina Garcés appelle cela la « crédulité surinformée ». Voilà sur quoi mise l’extrême droite pour discréditer ceux, responsables politiques, journalistes, enseignants, magistrats, scientifiques, experts, qui s’opposent à son projet séparatiste, autoritaire et ultraconservateur au service des plus riches.
La « post-vérité », les « faits alternatifs » sont un poison pour la démocratie. C’est bien elle qui est ciblée car elle peut potentiellement faire obstacle à l’accumulation sans limites et sans contraintes des richesses, du capital, par une poignée de privilégiés. La fable du capitalisme synonyme de démocratie a vécu.
Stéphane Sahuc – Éditorialiste de l’Huma